On peut se dire qu’il s’agit
d’une cérémonie administrative sans attrait et monotone. On peut se dire
également qu’il n’y a aucun intérêt à se déplacer pour participer à des
petits-déjeuner, déjeuners, dîners sans rien faire de sa journée et attendre
qu’elle se passe. On peut se dire enfin que toutes ces affaires ne concernent
pas les blancs que nous sommes, car chez nous, une prise de poste d’un Préfet
n’est pas si importante que cela, un article dans la presse locale, un pot à la
fois d’adieu pour le prédécesseur et de bienvenue pour le successeur. Le décret
publié au journal officiel suffit pour le libellé et la signature au bas de la
page change.
Il n’y a guère que dans l’armée
française, gardienne de quelques traditions en disparition, que les prises de
commandement se déroulent encore avec un faste qui se ternit aux fils des
décennies.
Au Cameroun, il en est tout autrement.
La Loi, le Droit en général n’a
pas la même force, la même portée que sous nos laborieuses latitudes. Les
hommes comptent plus que la fonction. La parole, la symbolique, bref le sens
donné aux choses est plus fort encore. C’est cela qui porte aux yeux des
populations. Le changement de gouverneur a lieu parce qu’on le voit. Il a lieu
parce que c’est fêté. Il a lieu parce qu’un homme puissant, détenteur du
pouvoir, est venu le certifier devant tous !
Départ de Yaoundé prévu à 11h.
Finalement on part à 12h30. Rien de plus normal car le temps n’a pas
d’importance. On prends le temps de faire ce qu’il y a faire. Le convoi se
prépare. Le ballet des gros 4X4 TOYOTA se met en place. Une question
essentielle surgit pour le chef du protocole : qui doit suivre directement
la voiture du Ministre ? Une courte discussion s’engage, un terrain
d’entente est vite trouvé. Les chauffeurs
enclenchent les « warnings », le motard de la gendarmerie et
la voiture de la sureté nationale se placent en tête et tout le monde s’en va.
La sortie de Yaoundé se fait
rapidement car les taxis jaunes, camions , motos et porteurs de fruits
s’écartent rapidement aux sons des sirènes. L’angoisse du chauffeur de la
voiture dans laquelle je suis est de rester « coller » à celle de
devant car le moindre espace au Cameroun est comblé. Phénomène tout à fait fascinant,
tout est lent mais rien ne s’arrête… on ne s’arrête pas aux feux rouges, on
entre dans les rond-points sans s’arrêter, on rejoint une route principale sans
s’arrêter au risque d’être deux là où il n’y a de la place que pour une seule
voiture.
Après 25 minutes de lutte sans
merci pour tenir sa place, on quitte enfin les faubourgs de YAOUNDE et on prend
une belle route départementale. La circulation automobile se fait rare. Pendant
les 4 heures du trajet, on s’enfonce un peu plus dans le territoire vers
BERTOUA, la fôret s’épaissit et prend une tournure vraiment tropicale mais on m'explique que ce n’est rien par rapport à la vrai forêt dès que l’on s’écarte de
cette route. Les villages sont semblables. Quelques maisons en dur, le plus
souvent elles sont construites en terre et bois avec des toits de feuilles de
palmiers tressées. Les conditions de vie ne sont pas confortables mais les
familles sont protégées du soleil et de la pluie. L’adaptation fait le reste.
Je relève qu’il y a de plus en plus d’édifices religieux à mesure que l’on
s’écarte de la grande ville. Les villages se succèdent.
Arrivée à MBAMA le convoi
s’arrête. Que se passe-t-il ? Nous sommes au village de la belle-famille
de notre ministre. Un petit comité d’accueil l’attend depuis 2 bonnes heures.
Des femmes en boubous à l’effigie de Paul Biya se mettent à chanter, les
autorités administratives locales ont mis leurs plus beaux uniformes pour
saluer le passage du convoi. Le son des djambés se fait de plus en plus fort.
Toute la belle-famille est là. Chaque personne est saluée, un mot pour les uns
et les autres. 5 à 10 minutes tout au plus et le convoi repart. Les femmes ont
l’air épuisées par la chaleur. Il fait 35°. Elles réclament du
« jus ». J’en ai pas, j’en suis désolé…
On me signale que bientôt la route
bitumée s’arrête. Les travaux sont en cours et d’ici quelques mois toute la
route sera faite mais il y a encore 5 kilomètres de piste à parcourir. Le décor
change brutalement. La poussière dégagée par le convoi envahit tout ! On
ne voit plus à 10 mètres ! La conduite devient dangeureuse très
rapidement. Le coup de frein brutal de la voiture de tête au passage d’un
contrôle de police entraine des dérapages successifs dans une poussière si
importante que l’on ne voit plus rien. La voiture derrière nous frôle… l’accident
est évité mais de justesse.
Encore quelques minutes et nous
arrivons à BERTOUA. Je ne connais pas le nombre d’habitants. Il doit être
approximativement d’environ 100 à 150 000. Un autre comité d’accueil est
là. De nouveaux le sons des tambours avec, en plus, des groupes de danseurs
traditionnels sous une chaleur intense.
Après avoir salué les autorités à
l’entrée de la ville, le convoi repart vers l’hôtel. Il est 17h30. Nous devions
arriver vers 15h… L’hôtel Mansa est un peu lugubre mais correct. Nous entrons
entouré d’un groupe traditionnel qui fait mine de nous empêcher par leurs
sagaies qu’ils agitent devant nous et devant moi en particulier. Normal, je
suis repéré. Ma chambre sent le renfermé alors j’ouvre en grand les portes…
coups d’œil rapide des autres clients (y’a un blanc !).
L’ancien délégué du gouvernement
avait prévu d’honorer la visite du Ministre par le repas de 15h. Donc direction chez lui pour prendre le repas à … 18H30. A nouveau la musique
et les danses traditionnelles. Au menu du repas de midi, poulets, porc-épics,
anacondas, riz, ndolé, crudités, salades de fruits, poissons. Tout est
généralement très bon. Il faut savoir doser. Certains me disent que je peux en
profiter. Le repas du soir prévu pour 22h ne se fera pas avant 23h/1h du matin.
Quelques sujets de discussion
plus tard, nous voila de retour à l’hôtel pour assister aux audiences du
ministre. Je vois là un vrai défilé d’un tas de personne et notamment des chefs
traditionnels. C’était assez court, ces derniers ayant préparé un texte à l’avance
remis en mains propres. Puis nous sommes passés aux autorités administratives
locales, le tout dans un formalisme et un protocole particulièrement développé.
On se lève à l’arrivée du Ministre, on s’assoit en fonction des rangs de
préséances (d’abord les membres du cabinet du ministre, puis les autres). Un
porte parole des Préfets et sous-préfets a été désigné pour faire passer des
messages simples : restaurer l’autorité de l’Etat, donner des conditions
de vie dignes aux représentants de l’Etat (un logement, un véhicule de service,
un bureau) et leur garantir une bonne apparence (un
uniforme). Il faut dire que, lorsque l’on regarde les personnes réunies, pas une
seule ne possède le même uniforme, les mêmes insignes ou les mêmes couleurs. De
loin cela va à peu près, à proximité c’est plus que bigarré !
Il est 23heures, les audiences
sont terminées ont peu aller manger. Direction le logement du Préfet qui
invite. Même repas que pour le midi de 18h30. Ah si ! en plus il y avait
des petits raviolis fris à la viande. Très bon. Evidemment, nous avons droit à
l’orchestre et les chanteurs dans un bruit épouvantable. Mon collègue d’à côté
se met à draguer la serveuse : « donne-moi ton numéro de téléphone,
je te veux ! ». La jeune serveuse s’écarte prudement et déjoue tous
les pièges. Après une bonne rasade de vin de bordeaux à ras bord des verres, le
Ministre se lève et donc toute sa suite (dont moi) doit partir. C’est comme
cela. Je peux même pas finir mon assiette ! Le départ du lendemain est
prévu à 7h pour aller petit-déjeuner chez le délégué de la Communauté Urbaine
de BERTOUA avant la cérémonie d’investiture du nouveau gouverneur.
9h. Nous partons à peine de l’hôtel
pour aller petit-déjeuner. Même repas que la veille pour le midi de 18h30 et le
23h. On me propose du vin. Je décline poliment. Je trouve quand même mon
bonheur avec deux crèpes et des fruits. Là aussi on peut avoir du poulet, du
poisson, du serpent, du jambon… Bref, de quoi tenir un siège. A côté de moi, on
me chuchote : « tu devrais bien manger car il est prévu que l’on
reparte immédiatement après la cérémonie. Le Ministre doit rentrer sur Yaoundé
le plus tôt possible. On ne restera pas déjeuner ».
On arrive en convoi officiel à la
tribune présidentiel devant les corps constitués. Je repère deux évèques et un
archevèque. Terre de mission catholique. Je m’assois derrière le rang des
ministres. Ma position au cabinet me donne une certaine importance. Evidemment, le seul
blanc.
J’assiste alors avec étonnement à
toute une cérémonie protocolaire avec discours, cadeaux, lecture du décret
instituant le nouveau gouverneur, éloge de l’ancien… La passation des pouvoirs
aux yeux du peuple se fait lorsque l’ancien et le nouveau échangent, en direct,
leur place. Applaudissements, joie du public !! Le tout a durée 2 heures
en comptant le défilé militaire de clôture.
Rapidement, nous prenons la
direction de la Préfecture pour la signature des registres. Il s’agit
nécessairement d’un ancien bâtiment colonial. Il n’y a pas de doute. Le bureau
du gouverneur est probablement à l’identique (mobiliers exceptés) de celui du
dernier gouverneur français de la région avant 1960. Au moment des signatures, il se
passe quelque chose de très surprenant.
L’ancien gouverneur détache de sa
ceinture une poche contenant un pistolet de 38 mm de l’armée française. J’en
croyais pas mes yeux ! Il le transmet avec formalisme, devant les yeux du
ministre, au nouveau gouverneur. Il ajoute une réserve de balles (quelques
unes) et confie également le « sceau » officiel. Voilà, l’affaire est
maintenant close. Le pouvoir, y compris d’utiliser la force, est passé de main
en main. La continuité de l’Etat est assurée. La force des symboles.
Il est 13h. J’ai faim mais on
doit remonter dans les gros 4x4 japonais pour rejoindre Yaoundé à toute
vitesse. On suit le convoi. Finalement, il s’arrête et tout le monde descend pour aller
manger à la permanence du RDPC, le parti au pouvoir depuis l’indépendance. Là
également même repas que la veille et l’avant-veille. Je m’habitue et picore d’autres
plats. Vers 14h, il faut repartir. Le Ministre a rendez-vous à l’Assemblée
Nationale à 16h. On n’y sera pas avant 17h30.
Le trajet du retour se déroule
sans difficulté. A 18 h nous arrivons à l’Assemblée. Je ne peux pas continuer. On
me ramène au ministère. A BERTOUA, ils auront fait la fête le reste de la
journée et probablement de la nuit.
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