Les quelques jours passés à Bertoua, capitale de la Région Est du Kameroun, m'ont rappelé que je n'ai toujours pas décrit les ambiances au travail au sein de l'administration locale.
Le sujet est délicat car il faut savoir se détacher de nos a priori très nombreux en la matière. En effet, on a le choix entre deux attitudes.
L'une est profondément critique et revient à considérer que le kamerounais ne sait pas travailler. Il ne respecte aucun horaire, est toujours en retard aux réunions, passe son temps au téléphone alors qu'on est en train de lui parler, cherche à contourner chaque interdiction ou à trouver des "arrangements" pour que le travail qu'il n'a pas fait soit reprocher à quelqu'un d'autre. Il n'hésitera pas non plus à être de mauvaise foi ou mentir de façon si exagérée que l'on peut en avoir le souffle coupé. Sa fierté le pousse à vouloir contredire systématiquement ce que dit "le blanc" et parle pendant de longues minutes pour finalement ne rien dire à la fin.
L'autre s'attache à mettre en avant les différences de culture et de mentalité. Comme j'ai déjà pu l'exprimer, le rythme est à la fois lent mais il ne s'arrête jamais. Il peut aussi s'accélérer et donner des résultats lorsque l'intérêt est là. Certains passent des journées entières voire des week-ends au travail. Les projets finissent par sortir de terre et trouver une certaine réalité.
Vous allez me dire : "Oui, mais toi qui est au pays et qui est censé travailler avec eux, qu'en penses-tu ?"
Et bien, je vous répondrai que je n'en sais encore trop rien. Mes réflexions oscillent en permanence entre les deux versions et pourtant, je ne suis ni Suisse ni Normand. Toutefois, quelques grands axes peuvent expliquer les ambiances au travail.
Tout d'abord, le fonctionnaire kamerounais n'aime pas le silence. Il est en cela le reflet de tout camerounais. Outre son téléphone personnel qui sonne constamment, il lui arrive régulièrement d'écouter dans son bureau la radio et la télévision en même temps. Le plus symptomatique étant d'avoir un entretien individuel avec un responsable de l'administration qui vous écoute, regarde la télévision et répond au téléphone à une de ses connaissances. Pour tout dire cela donne des complexes à mon téléphone qui ne s'agite que 3 ou 4 fois dans la journée.
Ensuite, je répète, le fonctionnaire kamerounais aime parler. La rhétorique est appréciée. Un homme qui parle bien gagne inévitablement des points dans l'estime des autres. Cela peut donner lieu à des scènes cocasses où l'objectif de la réunion n'est finalement pas l'ordre du jour mais bien celui de parler en public le mieux possible. Il faut dans ces cas beaucoup de patience...
Il faut savoir également que la société camerounaise dans son ensemble est fortement marquée par toutes sortes de fêtes ou d'évènements, les plus importants étant finalement les deuils. En effet, les solidarités familiales son essentielles et chacun se doit d'être présent lorsqu'un décès survient. Même si on est né à Yaoundé, son village est celui de ses origines familiales. L'enterrement peut prendre parfois deux à trois jours entre la "levée du corps", sa préparation et son ensevelissement. Les jeudis et vendredis sont les jours préférés de la semaine pour faire les levées. Dans certains endroits comme en pays Bamiléké (à l'ouest), l'enterrement peut se faire deux ou trois ans plus tard lorsque la famille a accumulé suffisamment de moyens pour faire une cérémonie grandiose montrant l'importance de celui qui est décédé. En pratique le corps est déjà en terre mais on tient à ce que la cérémonie soit répétée. Il arrive également que la famille, après quatre ou cinq ans, déterre le crâne du défunt et le conserve dans la pièce consacrée à cet effet avec les autres aïeux. Tout cela pour expliquer que le jeudi et le vendredi sont des jours où les "autorisations d'absence" sont fréquentes pour "voyager".
Alors, évidemment, le lundi matin est mis à profit pour faire le trajet de retour du village vers Yaoundé ou Douala.
Autre particularité, les nominations. Chaque semaine le vendredi à 17 heures, la radio nationale égrène les nominations de fonctionnaires d'un poste à un autre. Seuls restent au bureau ceux qui espèrent une promotion. Le mystère est total sur la façon dont ces nominations s'opèrent. Chaque semaine les discussions vont bon train sur ce qui se passera "vendredi". Si on bénéficie d'une telle chance, on considère, en quelque sorte, que vous êtes touché par la grâce et qu'il faut dignement célébrer cet évènement.
Enfin, et c'est probablement un domaine dans lequel les stratégies individuelles sont les plus élaborées, les réunions sont au coeur de toutes les préoccupations. Faire partis d'un comité de pilotage, d'un groupe d'étude ou de suivi, d'un secrétariat technique est source de revenus. En effet, les membres de ces différents types de comité sont désignés par l'autorité administrative. Cette désignation emporte le versement d'une indemnité de participation et de transport dès lors que l'on a assisté à la réunion. Elle peut aller jusqu'à l'équivalent d'un mois du salaire de base d'une personne pour une réunion. Dès lors, on comprend le très fort intérêt des fonctionnaires a intégrer un projet. Je laisse au lecteur le soin d'imaginer toutes les conséquences directes et indirectes que cette pratique entraîne.
Alors, gardez à l'esprit toutes ces caractéristiques, faites un mélange de tout ça et imaginez l'ambiance au travail. Bon. Je vous l'avoue, il manque encore quelques caractéristiques croustillantes mais cela sera pour une prochaine fois (peut-être !).